(Photo du site Priceminister)
Esprit d'hiver de Laura Kasischke
(Christian Bourgois - août 2013 - 276 pages)
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Aurélie Tronchet
Titre original : Mind of Winter (2013)
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Et oui, de temps en temps la traduction du titre en français est fidèle à l'original. Merci à l'éditeur de ne pas nous avoir proposé un titre "vendeur" à la française.
On peut faire confiance à Christian Bourgois qui est un excellent éditeur depuis de longues années et qui a su nous donner à lire des écrivains de grande envergure, tels Antonio Lubo Antunes, Enrique Vila-Matas, Roberto Bolano etc...
Alors, quel est cet "esprit d'hiver" ? Wallace Stevens, l'auteur cité en exergue au roman, dit : "Il faut posséder un esprit d'hiver" (page 213) "Wallace Stevens était le poète agent d'assurances dont Eric essayait de se rappeler le nom chaque fois qu'il reprochait à Holly son blocage en écriture, insistant sur le fait que ce n'était ni sa maternité ni son boulot dans le monde américain de l'entreprise qui la bloquaient". (page 213)
Voilà, le décor est planté. On est chez Eric et Holly, un couple américain, en ce matin de Noël 20... (l'auteur ne nous donne pas la date précise, qu'importe). Ils se sont réveillés tard et il est urgent de faire démarrer cette journée pas comme les autres.
Eric part au plus vite chercher ses parents à l'aéroport. Pendant ce temps-là, Holly va préparer le repas de Noël. Seulement, voilà, est-ce l'esprit d'hiver ? Elle s'est réveillée avec cette phrase en tête : "Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux !".
Une phrase qui sonne comme une "sommation", une "fatalité" qui s'abat sur leur vie depuis que Tatiana est arrivée chez eux. Tatiana est une petite fille qu'ils ont adoptée il y a 13 ans. Et justement, ils l'ont vue pour la première fois en Sibérie un jour de Noël, puis ils sont venus la chercher trois mois plus tard, donnant beaucoup d'argent pour qu'on s'occupe bien d'elle entretemps. Par la suite, ils ont eu quelques malheurs. Faut-il les attribuer à l'arrivée de Tatiana dans leur foyer, alors que pourtant tout s'est bien passé avec elle ?
Elle a grandi sans soucis, belle jeune fille à présent aux yeux charmeurs...
Seulement, ce matin de Noël, rien ne va comme il faudrait. La neige se met à tomber en tempête si bien que les invités appellent pour dire qu'ils ne vont pas pouvoir venir. Eric devrait aussi être rentré avec ses parents. Et il n'est pas là. Elle finit par apprendre qu'Eric n'est pas bloqué dans la neige mais qu'il est à l'hôpital car sa mère est "confuse", à quelques soucis de santé. Il n'en dit pas plus.
Holly, très en retard, est contrariée de n'avoir pas eu le temps de consigner dans un cahier cette phrase qui lui martèle l'esprit, tel un leitmoviv dans un opéra de Wagner (c'est moi qui donne cette image, telle que je l'ai ressentie).
Toutefois, elle doit quoiqu'il arrive, coûte que coûte, préparer le repas. Au pire, les invités viendront demain quand la neige aura été dégagée. Et bien sûr, elle sollicite Tatiana, dont le diminutif est Tatty. Et à chaque fois, c'est compliqué. Tatiana rechigne, s'enferme dans sa chambre. Elle va se changer au moins quatre fois dans la matinée.
Les crises avec sa mère deviennent violentes, un verre est cassé, un couteau vole dans la maison... Comment en être arrivé là alors que la relation mère-fille semblait avoir bien marché jusque là ? C'est tout le mystère du roman dont tout va crescendo... Mais suspens... Vous verrez en lisant ce roman que la fin est époustoufflante, dans ce huis-clos.
Est-ce à dire que l'adoption a été une erreur ? Holly n'aurait jamais pu avoir d'enfant suite à des soucis congénitaux. Holly finit par penser qu'elle a tout râter, à commencer par sa vie de poétesse, car elle a publié un recueil dans sa jeunesse. Mais la vie quotidienne l'a rattrapée et elle a sacrifié bien du temps pour espérer être une bonne mère pour Tatiana, sans avoir eu le succès de son amie vietnamienne : Thuy, lesbienne, qui a adopté une fille aussi...
Ce roman se passe donc sur quelques heures, dans la maison d'Eric et Holly avec deux personnages qui vont se confronter. Mais tout au long du roman, le narrateur prend la voix d'Holly, car tout est vu par elle. Incessants retours en arrière sur l'adoption et les deux voyages en Sibérie, sur la jeunesse de Tatiana, que les russes auraient voulu appeler Sally pour lui "enlever" ses racines, mal connues par ailleurs...
Un roman, sans chapitres, avec des "étoiles" pour séparer des moments du récit.
En y réfléchissant, après avoir fini le livre il y a trois jours et toujours "habité" par cette histoire, je vois ce livre comme une musique répétitive, avec quelques respirations (ces étoiles *), mais en un seul mouvement. J'ai pensé à Wagner pour la phrase lancinante des leitmotiv, mais on peut aussi penser à Philip Glass et aussi au boléro de Ravel qui irait bien avec l'ambiance de ce roman, qui commence tranquillement pour continuer dans un crescendo progressif et lancinant.
En résumé, un très grand roman, émouvant, fascinant et qui nous emporte loin, très loin...
Livre reçu grâce à Priceminister dans le cadre des "matchs de la rentrée".
Merci à Oliver pour l'organisation.
Ma note est : 16/20
Cette lecture s'inscrit également dans les livres
de la rentrée littéraire chez Sophie Hérisson
3/6
Rentre également dans le challenge US de Noc Tembule
Enfin, ce livre s'inscrit dans le challenge
des femmes écrivaines américaines chez Miss G